Selon Manon Garcia, spécialisée en philosophie politique féministe et actuellement installée aux États-Unis et travaillant comme professeure assistante à Yale University, la soumission est un concept très utile pour beaucoup de types de situations de soumissions.
La soumission, contrairement à ce que l’on peut croire, n’est pas un ensemble de faits purement passifs mais bien un ensemble d’actions complètes qui sont encadrées par des éléments qui la favorisent, l’entretiennent et qui constituent un système reproductif efficace de l’ordre hiérarchique de la domination masculine et de la soumission féminine.
Dans son essai philosophique On ne naît pas soumise, on le devient publié à l’automne 2018, la philosophe Manon Garcia, explore la soumission féminine, autrement dit, elle s’intéresse au pouvoir du point de vue de celles qui ne l’ont pas.
Cet ouvrage s’inscrit dans la lignée de l’oeuvre féministe fondatrice de Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe (1949)- que chacun devrait incontournablement lire aussi – dans lequel il est savamment démontré qu’on ne naît pas femme mais qu’on le devient.
Devenir femme est une construction social. De même, devenir une femme soumise est structurellement conditionné.
Dans un entretien radiophonique sur la chaîne de radio française France Culture, Manon Garcia décortique les différents degrés de soumission de la femme, les plaisirs, les punitions ainsi que les paradoxes liés à la soumission féminine, et elle revendique l’idée que l’égalité des sexes nous concernent absolument toutes et tous.
Les différents degrés de la soumission féminine
La soumission féminine connaît différents degrés.
Il y a tout d’abord les soumissions dans la vie quotidienne. C’est lorsque par exemple, un femme fait attention à son apparence, à son poids, à la façon dont elle s’habille, se maquille, s’épiler, prend le soin de se coiffer et de se faire ” belle “.
Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de femmes qui aiment tout simplement faire attention à leur apparence par plaisir et uniquement pour elles-mêmes.
Cependant, les injonctions qui sont liées à l’apparence et qui sont imposées aux femmes sont réelles et sont apprises dès le plus jeune âge.
On apprend malheureusement toute petite, à se faire ” belle ” pour le sexe opposé.
Cette apprentissage est par la suite intériorisé et se traduit par des actes de soumission parfois très inconscients.
Un autre type de soumission dans la vie quotidienne est la soumission des femmes au rôle de la femme au foyer dévouée : s’occuper de l’espace intérieur, s’occuper de la maison, du dedans, des enfants, des repas, du ménage, penser au bien-être de tous les membres de la famille ; accroître le bien-être de la société, de fournir une valeur ajoutée à la collectivité tout en travaillant gratuitement, en somme.
La charge mentale est donc aussi d’une certaine manière une manifestation de la soumission féminine.
La soumission féminine semble souvent, en apparence seulement, être quelque chose de passif. Or se soumettre est en fait le résultat d’une participation active.
Ce qui peut masquer le côté actif de la soumission féminine, c’est que les femmes se soumettent parfois sans que ce leur soit demandé.
Dans ces cas, il n’y a pas de demande explicite qui en suit mais la soumission s’opère bel et bien par une action.
Il y a, de plus, des degrés de soumission féminine beaucoup plus graves que les soumissions féminines que l’on peut retrouve dans la vie quotidienne.
Par exemple, une femme, qui n’a pas appris à refuser les avances d’un homme, à lui dire non, mais qui tout de même se retrouve dans une situation où, bien qu’elle n’aie pas envie de relation sexuelle avec l’homme en question pour lequel elle n’a aucun désir, elle n’affirme pas son refus peut avoir des conséquences lourdes.
Ce type de cas peut être psychologiquement dévastateur dans la vie sexuelle des femmes et c’est là qu’il y a urgemment intérêt à prendre au sérieux la pratique du consentement que les femmes féministes proposent comme solution, notamment à la soumission sexuelle des femmes aux hommes.
Parenthèse sur le lien entre la soumission féminine, le BDSM et le consentement
Les pratiques de soumissions sexuelles se retrouvent dans le BDSM (Bondage, Dominance/Discipline, Submission/Sadism/Sadomasochism, Masochism) qui est une pratique sadomasochiste consentante.
Le consentement entre les partenaires participants – qu’ils soient dominants ou dominés – est donc la condition sine qua non des pratiques BDSM.
Au regard de la soumission féminine, le BDSM peut être une pratique qui pose problème car dans le cas de la réalité sociétale, les femmes sont déjà impliquées dans des mises en scène où elles apprenant à jouer le rôle de soumises. Une double fragilité s’opère.
Pour les hommes, la donne est bien différente. Le théâtre social leur donne le rôle des dominants, ce qui facilite le jeu consentant de soumis dans les pratiques BDSM.
Car la domination masculine n’est de toute façon pas remise en cause dans l’espace public.
Bien que le BDSM repose sur le consentement, il ne peut pas faire abstraction des structures hiérarchiques sexistes et androcentrées.
Le roman à succès Cinquante nuances de Grey (2012) est un tableau condensé de la problématique de la pratique du BDSM dans la vie d’une femme.
La soumission féminine est une réalité palpable et même beaucoup trop présente dans la vie des femmes.
Elle doit son existence à la domination masculine qui est structurellement légitimée et ancrée.
Les comportements genrés encouragés et le paradoxe des récompenses de la soumission féminine
La soumission féminine et la domination masculine sont la mise en scène d’un ensemble de comportements genrés, sexistes et androcentrés qui sont appris et reproduits dans la société.
Dès le plus jeune âge, le jeune homme apprend à dominer et la jeune femme, quant à elle, apprend symétriquement à se soumettre.
L’homme apprend à dominer la femme et la femme apprend à se soumettre à l’homme.
La domination et la soumission marchent main dans la main et ne sont en aucun cas naturelles mais bien biopolitiquement organisés.
La question de comprendre les raisons pour lesquelles un tel déséquilibre continue de s’entretenir peut trouver sa réponse dans les récompenses que reçoivent les femmes lorsqu’elles obéissent aux prescriptions sexistes.
Si la soumission féminine se perpétue c’est qu’il y a un certain nombre d’avantages et de plaisirs liés à l’action de se soumettre aux hommes.
Il est par exemple flatteur pour une femme de recevoir de la part d’un homme des compliments sur sa beauté, sur son physique, et donc sur sa valeur en tant qu’elle est sexuellement désirable et qu’elle a sa place sur le marché de la séduction.
Il y a un plaisir à se présenter comme un objet sexuel mais en même il y a une grande souffrance dans le fait d’être traitée comme un objet et non comme un sujet.
C’est une dualité qui a certainement été ressentie par toutes les femmes et qui suscite des sentiments et des émotions mitigés, entre la satisfaction et l’indignation.
Par ailleurs, jouer le jeu de la soumission et accepter, ou du moins faire semblant d’accepter, les règles de la soumission féminine peuvent parfois être le meilleur moyen pour les femmes d’accéder à un certain pouvoir, d’exercer leurs libertés et d’imposer leur puissance.
On peut penser au cas de l’artiste Beyoncé qui en apparence performe la soumission féminine, de par ses codes esthétiques, mais qui est très engagée politiquement dans les causes féministes intersectionnelles.
” Une femme qui ne se soumet pas est punie socialement “, formule Manon Garcia dans son entretien radiophonique pour France Culture (2018).
Différents cas illustrent cette affirmation. Les féministes, par exemple, ont une très mauvaise image et elles sont souvent publiquement décrédibilisées.
Cela a commencé à changer dans les dernières années, mais reste tout de même dans une certaine mesure d’actualité.
Un deuxième exemple très quotidien pour illustration la punition sociale des femmes insoumises : une femme qui se balade dans la rue et qui ignore les ” hé mademoiselle, t’es charmante ! ” lancés par des hommes, ou bien si elle y répond sèchement, prend le risque de se faire insulter voire agresser physiquement ou sexuellement en retour.
Car il est attendu des femmes qu’elles obéissent à la domination masculine sans que cela leur soit, la plupart du temps, explicitement demandé.
La pratique du consentement est, dans ces cas, déployé à l’extrême.
Les plaisirs et les récompenses liées à la soumission féminine sont finalement bien minimes, bien peu épanouissantes et essentielles en comparaison aux paradoxes qu’ils engendrent.
Suivre à la lettre les normes de la féminité n’apporte de jouissance à la femme soumise que ponctuellement et sur le très court terme.
Car en vieillissant, les femmes perdent de leur pouvoir d’attraction sexuelles puisqu’elles ne sont plus considérées comme des objets sexuels désirables par les hommes.
En plus du sexisme, les femmes se retrouvent alors dans un autre système hiérarchique : l’âgisme.
En outre, la soumission féminine est responsable de la schizophrénie sociale des femmes.
Une femme est censée être mince et voluptueuse à la fois, elle doit être une mère parfaite mais mener une carrière professionnelle sans faute, elle doit être en même temps libre et épanouie mais aussi dévouée aux autres et toujours aux petits soins.
Bref, la soumission féminine ne semble qu’offrir des impossibilités aux femmes, mais paradoxalement on peut voir des mouvements soit-disant féministes de consentements à la soumission féminine.
#metoo et #balancetonporc vs. ” la liberté d’importuner “
Avec le mouvement #metoo, lancé en 2006 aux États-Unis sur les réseaux sociaux, et sa version française #balancetonporc qui est né en 2007, on peut se réjouir d’un début de dénonciation de la domination masculine et d’une revendication des libertés des femmes et surtout de l’égalité des sexes.
Selon Manon Garcia, il y aurait une nuance entre les deux hashtags. Dans #metoo, il semblerait qu’il y ait plutôt le message : ” moi aussi, en tant que femme, je suis une victime de la domination masculine ” alors que dans #balancetonporc, il y a plus l’idée de : ” maintenant, ça suffit, il est temps d’agir et ne plus se laisser dominer par les hommes ni d’accepter la soumission féminine “.
Un vent d’espoir s’est alors transformé en tempête d’espoirs.
Cependant, un contre-mouvement s’est fait entendre au même moment par le biais d’une tribune collective publié dans le journal Le Monde en 2018. Il s’agit du mouvement initié entre autres par l’actrice française Catherine Deneuve et qui revendique haut et fort ce qu’elles appellent ” la liberté d’importuner “.
C’est une formulation très lissée pour envoyer un message de soutien aux hommes qui dominent les femmes.
Les rédactrices et signataires de la tribune clament les jouissances qu’elles perçoivent de la soumission féminine et de la domination masculine.
Il y aurait donc d’un côté, les jeunes féministes qui se battent contre la soumission féminine et la domination masculine, et de l’autre côté, il y aurait les vieilles féministes qui luttent pour sauvegarder l’ordre patriarcal.
C’est comme si ces dernières étaient nostalgiques de leur jeunesse pendant laquelle elles se voyaient encore attribuées une valeur sexuelle par les hommes sur le marché hétéronormé et androcentré de la séduction.
L’âge et la génération sont ici un facteur qui diviserait la lutte féministe.
Mais que serait une société où il y aurait véritablement un amoindrissement voire un abolissement de la domination masculine ?
Les avantages pour les femmes à ne pas revendiquer leur libertés prennent-ils le dessus sur les avantages de l’égalité des sexes ?
L’égalité des sexes concerne tout le monde
Les enjeux féministes et les luttes féministes ne concernent pas seulement les femmes féministes.
L’intérêt à abolir la domination masculine et la soumission féminine est très grand et ce, pour tout le monde.
L’égalité des sexes n’a pas pour but de réduire les droits des hommes tout en accroissant les droits des femmes.
L’égalité des sexes a pour objectif d’abolir l’ordre hiérarchique genré et sexiste afin que tous les individus d’une société ne souffrent ni de domination ni de soumission.
La femme soumise est une réalité structurelle qui fait souffrir plus qu’elle ne procure de plaisirs et d’avantages. Et ce, autant aux femmes qu’aux hommes.
Car la domination masculine elle-même engendre des souffrances autant chez les hommes que chez les femmes et autres catégories biopolitiques marginalisées.
Le chamboulement des identités sociales et biopolitiques ne devrait pas être un frein à l’égalité des sexes mais au contraire un espoir pour un renouveau social et de nouvelles normes saines.
Pour être convaincu, de cela il suffit d’imaginer, comme nous le propose Manon Garcia, l’existence d’un couvre-feu le soir et la nuit pour les hommes.
En tant que femme, il est clair qu’il s’agit d’une utopie où l’on peut s’imaginer librement sortir sans avoir peur d’être ” importunée “, insultée, agressée, violée.
On pourrait ne plus avoir à surveiller l’heure à laquelle on rentre de boîte dans la nuit ou au petit matin.
On pourrait ne plus à avoir à prier pour que ce type qui nous regarde dans rue ne nous adresse pas la parole ou nous mettre une main aux fesses.